Essai

Début juin, fin de confinement, le réveil est difficile… Voilà déjà trois mois que j’aurais dû vous raconter mon expérience avec la Streetfighter V4S. J’aurais enfilé le cuir, enchaîné quelques tours rapides sur le circuit mythique d’Ascari (Espagne) et je vous aurais expliqué pourquoi ses quatre ailerons étaient absolument indispensables pour lui coller le nez au sol dans les lignes droites. J’aurais sûrement aussi hurlé « 28 kilos d’appui aérodynamique à 270 km/h ! » dans le micro pour immortaliser la scène pour notre chaîne YouTube, et j’aurais sans doute eu des fourmis dans les mains en tapotant mon ressenti à la sortie de virages dans l’avion du retour.
Oui, mais voilà, le Covid-19 est passé par là, et c’est sur les routes normandes, normales, que j’ai testé cette machine a-normale…

Hors de son biotope
C’est sur une A13 humide, embouteillée par une flopée de camionnettes diesel et d’Uber parisiens que commence l’essai du roadster le plus attendu de l’année.
Pour être honnête, cela me va bien aussi.
Après tout, si l’on prend son nom à la lettre, une Streetghter est faite pour aller se battre dans la rue… Quoi de mieux, donc, qu’un gros bouchon parisien pour s’embrouiller de bon matin ?
En la regardant dans les yeux avec sa face inspirée du « Joker », j’étais même prêt à me fâcher d’entrée de jeu avec elle, pensant qu’elle serait exécrable en usage urbain. Le V4, à peine démarré, j’ai bien compris que cette Ducat’ ne serait jamais l’amie de mes voisins : un boucan d’enfer ! Mais en prenant place sur sa selle moelleuse, en actionnant ses commandes hydrauliques souples et en lançant le moteur, j’ai été agréablement surpris par tant de civilité et de facilité à bas régime en mode « Street ». Certes, le guidon droit est un peu loin en avant (pour mon 1,75 m) et le rayon de braquage est limité par le gros filtre à air logé juste après l’axe de colonne de direction. En revanche, les repose-pieds rabaissés par rapport à la Panigale ne fléchissent pas trop les jambes, et la selle est suffisamment échancrée pour poser les pieds à plat au sol.

Pandémie sur les permis
Malgré le revêtement défoncé du nord de Paris, les suspensions paramétrables électroniquement de notre version S lissent efficacement le sol. La Ducati se faufile avec la grâce du chat (et les feulements du tigre affamé) à travers la ville.
Arrivé sur l’autoroute, en passant le mode de conduite « Sport », le constat reste identique : l’injection est maîtrisée, la réponse parfaitement synchronisée à la poignée des gaz, et la précision du shifter bidirectionnel rend l’animal encore plus docile qu’il n’y paraît…
Mais attention, derrière cette apparente facilité procurée par un package électronique ultra complet et une partie-cycle hyper légère et équilibrée, le couple délivré par le V4 est bien présent. Avec un maximum de 12,5 m.kg à 11 500 tr/min, il semble haut perché. Jusqu’à ce que j’apprenne que 70 % de ce couple (soit près de 9 m.kg) sont déjà disponibles à 4 000 tr/min, contractant les muscles fessiers à chaque montée en régime. La boîte de vitesses aux rapports raccourcis par rapport à la Panigale accentue aussi cette impression de poussée démentielle. Les accélérations sont rapides, prodigieuses, et surtout d’une efficacité redoutable ! De quoi avaler deux fois le nombre de points du permis sur les petites départementales… Oups !

Un V4 façon twin
Ce V4 issu de la Panigale est une véritable usine à sensations et est censé mimer le fonctionnement du twin grâce à l’ordre d’allumage des cylindres « Twin Pulse ».
Cependant - et qui s’en plaindra ? -, il génère moins de vibrations, et son vilebrequin contrarotatif (qui tourne donc en sens inverse des roues) amoindrit certains effets d’inertie en phase d’accélération ou de freinage, donnant ainsi à l’engin une sensation de légèreté encore plus marquée. Enfin la « traditionnelle » distribution desmodromique dispense toujours des levées de soupapes plus rapides…
En résumé, une bête de 208 chevaux, issue du MotoGP, avec la partie-cycle la plus légère jamais conçue pour un roadster sportif, pensée pour prendre des virages à fond sur circuit. Signalons aussi son empattement court (1 488 mm), ses jantes allégées en aluminium forgé, son monobras, directement articulé sur le moteur, et sa boîte à air intégrée dans la partie avant du cadre monocoque…

Virus à point
Du bout des guidons, les 199 kg tous pleins faits se sentent à peine… Lancée pleine balle dans les virages, la Ducati reste là encore imperturbable, voire insensible aux lois de la physique. Vive dans les phases d’inclinaisons, stable à la corde, c’est un foudre de guerre qui ne demande qu’à atteindre les limites inavouables permises par son électronique de pointe : contrôle de traction, anti-cabrage, contrôle de la dérive, rien n’échappe à ses capteurs, sans que l’on ne ressente trop leurs interventions au guidon. Même avec les assistances déconnectées, il reste difficile de prendre la bête en défaut. Il faut vraiment se jeter dans les virages à des vitesses crapuleuses pour la sortir de sa « zone de confort ». Constat identique au freinage : précis et doux à l’attaque, puis ultra puissant lorsqu’on le sollicite plus franchement.
Évidemment, notre version S est dotée du meilleur équipement disponible (Brembo Stylema, disques 330 mm, ABS sur l’angle Bosh-9.1). Nous vous donnons donc rendez-vous dans le Moto Magazine mensuel n°369 (septembre 2020), pour un comparatif sur piste avec ses deux principales concurrentes, l’Aprilia Tuono 1100 Factory et la KTM 1290 Superduke R !

Le verdict
Saluons le retour de Ducati sur un segment que la marque a initié il y a des années avec les premiers Monster S4 équipé du moteur de la 916 (à redécouvrir dans notre saga consacré au Monster). Poids, puissance, tarif : la Ducati V4S est « LE » roadster de tous les superlatifs. Si elle demande un sacré coup de guidon pour être utilisée à 100 %, elle reste étonnamment facile au quotidien, contrairement à ses aînées… Seule sa sonorité, beaucoup trop présente, risque de prendre la tête. Enfin son tarif, de 5 000 € supérieur à celui de sa principale concurrente, la Tuono V4 1100 Factory, semble difficile à justifier.

© photos : Alexandre Krassovsky

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Fiche technique

Ducati Streetfighter V4S (2020) - Fiche technique (données constructeur)
Moteur
- Type : 4-cylindres en V à 90° à refroidissement liquide, 4T, 4 soupapes par cylindre, distribution desmodromique
- Cylindrée (al. x cse) : 1103 cm3 (81 x 53,5 mm)
- Puissance maxi : 208 ch (153 kW) à 12 750 tr/mi
- Couple maxi : 12,5 m.kg (123 N.m) à 11 500 tr/min
- Alim. /dépollution : injection / Euro 4
Transmission
- Boîte de vitesses à 6 rapports
- Transmission finale par chaîne
Partie-cycle
- Frein Av (étrier à x pist.) : 2 disques, Ø 330 mm (4 juxt.)
- Frein Ar (étrier à x pist.) : 1 disque, Ø 245 mm (2 opp.)
- Pneu Av - Pneu Ar : 120/70/17 - 200/60/17
- Réservoir (réserve) : 16 litres (n. c.)
- Poids annoncé (tpf) : 199 kg
- Hauteur de sellle : 845 mm
Pratique
- Coloris : rouge
- Garantie : 2 ans pièces et M.O., assistance
- Prix : 22 990 €

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